Le blog d'EDUCAPSY

Libres chroniques de "la matrice" d'un point de vue psychologique. L'écriture s'en tient au premier jet. Pertinence, précision, concision & vitesse. Telle est la visée. Le ton polémique est délibéré car "le combat est père et roi de tout" (Héraclite).

Wednesday, February 22, 2006

Le juge Burgaud n'est pas un bouc émissaire

Bertrand de Belval est un avocat, et comme disent les anglosaxons "it shows". Ça se voit. Il défend. La question, c'est qui ou quoi. J'ai peur que contrairement à ce que le titre de son article suggère, ce ne soit pas Burgaud lui-même. En effet, comment défend-on un accusé quel qu'il soit ? Avant tout en montrant que ses faits et gestes étaient conformes à son devoir, quel qu'il soit. Or, la seule chose qui ait été dite par Bertrand de Belval à ce sujet, c'est que les déclarations de certains acquittés avaient de quoi effrayer. Ce qui laisse à penser que "la geste" du juge était difficilement défendable.
De fait, tout le reste n'a été que pure réthorique ; elle a consisté, en substance, dans les propositions suivantes :
  • Le juge Burgaud serait un bouc émissaire ! (activation sans frais du schème victimaire (Girard, 1972, 1978) ; sous-entendu : l'accusation est fausse car l'accusé est en position de faiblesse, c'est un lampiste. Mais rien n'est moins vrai. Il est bien le principal (certes, pas le seul) acteur de la tragédie)
  • Tout le monde parle librement à tout moment : le secret de l'instruction n'est pas respecté (mais il ne s'agit pas ni d'une instruction ni d'un tribunal, dès lors, non seulement on peut, mais jusqu'à un certain point, on doit parler librement. Le brainstorming est efficace à cette condition)
  • La commission a cherché à mettre le juge en difficulté (il faut bien questionner le responsable (je n'ai pas dit le coupable) dès lors qu'il ne sait pas lui-même le faire ("j'ai été honnête") et qu'un désastre attend une explication)
  • Le juge Burgaud a été broyé (jusqu'à preuve du contraire, il n'a juste eu qu'à donner des précisions sur son "fait". On est broyé quand est accusé injustement et implacablement. Seuls les accusés d'Outreau l'ont été. Cette confusion est tout simplement indécente)
  • Le juge Burgaud est fini professionnellement, il n'aura plus d'"autorité" (N'était-ce le contexte tragique, il serait presque amusant de voir ce terme ressortir ici, tant il est "tarte à la crème" à force d'actualité et de polysémie. Le problème de l'autorité est qu'elle souvent entendue comme le "droit" d'exercer un rapport de force. Si Burgaud perd cette "autorité" là, alors, assurément, la justice y aura gagné)
  • Les "avocats" de Burgaud n'ont pas défendu (ah bon, c'était des avocats ? Mais alors c'était un procès ? Non, ce n'était pas un procès, il n'y a pas d'accusation, il n'y aura pas de verdict, pas de condamnation et pas de peine).
A l'évidence, tout ceci n'était que prétexte pour en venir à la seule chose réellement défendue : le point de vue de M. Bertrand de Belval. Il mérite toute notre attention.
Ce que ce monsieur demande, ce sont "des avocats, des juges. Des vrais. Des professionnels responsables parce qu'ils savent que le droit, la justice, ne sont pas des données, mais le fruit de ce qu'ils sèment, tantôt le calme, tantôt la tempête. Quand on a la vie de personnes entre ses mains, on ne peut pas ne pas retourner sa conscience dans tous les sens avant de décider. Après, c'est parfois trop tard. Former d'abord les juristes au droit, plutôt que de réformer sans cesse les lois, n'est-ce pas la priorité ?"

Que comprendre à cette vibrante saillie ? :
  • Il y a nécessité de juristes formés (soit, mais cela va de soi).
  • Qui sauront se retourner la conscience dans tous les sens quand, tenant la vie de personnes dans leurs mains, ils auront à décider (ça ne vous inquiète pas vous cette toute-puissance ? Moi beaucoup. Je ne souhaite pas qu'un individu ait à se torturer la conscience avant de décider de ma vie. Je préfèrerais de beaucoup que le débat soit partagé et codifié. Pas vous ? En tant que psychologue, je ne crois pas une seule seconde qu'un individu puisse soutenir des "cas de conscience" jour après jour et je n'en vois pas l'intérêt. Autrement dit, les règlements, la loi, les codes, c'est pas faire pour les chiens. C'est fait pour donner des repères et éviter les situations de toute-puissance qui prêtent à toutes les dérives. Qu'un juriste puisse passer à côté de cela ne laisse pas d'inquiéter)
Le meilleur pour la fin : Bertrand de Belval récuse par avance les solutions "techniques" qui pourraient être proposées par la commission. La question éthique, serait "trop humaine" pour se réduire à des codes. La vraie question serait "métaphysique".
Ça c'est vraiment la cerise sur le gâteau. Pourquoi ne pas clamer aussi, comme l'église catholique le fit naguère à l'égard du peuple juif, que le juge n'a pas de compte à rendre à "ses victimes" mais seulement à Dieu ou à je-ne-sais-quelle idée métaphysique de la Justice ?
N'oublions pas qu'il y a ici des "victimes". Et le juge Burgaud n'est pas au rang de celles-ci. Il me paraît légitime qu'une commission recherche des solutions techniques pour que le facteur humain, que M. Bertrand de Belval semble tant priser, puisse être encadré.
Imaginez un pervers narcissique dans la position de juge. Il a constamment besoin de croire qu'il a raison et ne peut assumer l'idée qu'il puisse se tromper, encore moins être en faute. Dès lors, à tout moment, il est convaincu qu'il a raison et il fait usage de tous les moyens pour amener les autres à sa raison (du plus fort, qui est toujours la meilleure, comme chacun sait). Un tel juge est un danger public. Une machine à broyer en toute légalité.
Si l'on pouvait écarter les pervers narcissiques de la profession de juge, ce serait assurément un gain non négligeable pour la justice de ce pays car l'"ivresse du pouvoir" est, en soi, suffisamment grisante, pour ne pas laisser ceux qui en sont déjà dépendants s'y adonner sans garde-fous. Mais si j'avais à proposer des solutions, ce ne serait pas forcément un test de personnalité avec un psychologue diplômé (et non pas un gestionnaire de ressources humaines ad hoc).

Je m'interroge sur l'instruction à charge et à décharge. Dans son principe, elle exige la capacité à entretenir une dissonance entre des perspectives contradictoires. Tous les psychologues savent que c'est là chose coûteuse. Nous sommes construits pour fuir la dissonance. Dès lors, pourquoi ne pas avoir deux juges d'instruction ? Un à charge. L'autre à décharge. Ainsi, la qualité de la défense ne dépendrait pas de la fortune de l'accusé, comme c'est le cas dans les systèmes anglo-saxons qui ont, eux, réduit la dissonance par l'assignation du juge à la seule mission d'accuser.
Je sais qu'on me dira que c'est impossible pour mille raisons. Je ne dis pas que cette solution est la meilleure. Je suis bien trop ignorant des choses de la justice pour avoir cette prétention. Mais je suis prêt à discuter de chacune de ces mille raisons. La justice est un combat qui mérite bien cela, n'est-ce pas ?

Saturday, February 04, 2006

Tous paranos ?

Interviewée le 5 novembre dernier dans l’émission Parenthèse sur France Inter, Véronique Campion-Vincent écrit dans un registre sociologique (elle a publié deux essais sur les rumeurs : Légendes Urbaines et De source sûre) et s’est dernièrement intéressée à la parano qui, selon elle, gagne nos sociétés déboussolées. Dans son ouvrage La société parano, elle brosse une série de tableaux sur les théories du complot les plus en vue et fait état de quelques réflexions que des scientifiques ont portées sur la question.

Au plan intellectuel, ce livre est décevant. Il est constitué d’une accumulation d’aperçus rapides, vaguement journalistiques et sans élaboration conceptuelle. On note un étrange déséquilibre dans le traitement : par exemple, les attentats du 11 septembre sont évoqués sur environ une page quand l’hypothèse que la terre est envahie par des hommes-reptiles bénéficie de cinq à six pages. De fait, les X-files, le Da Vinci Code et d’autres élucubrations sur Diana, Hitler etc. colonisent les chapitres et nous laissent sur notre faim.

Tout se passe comme si l’auteur avait voulu éviter la difficile question que se pose le citoyen responsable confronté aux nouvelles du monde : « où est la vérité ? » ou bien « à quelle réalité me demande-t-on de croire ? » (cf. le précédent post sur Harold Pinter). Se lancer dans un combat donquichottesque contre des outres mille fois rempaillées par les tabloïds et les magazines people n’est pas seulement vain ou pusillanime, c’est surtout tendancieux dès lors que ce qui est en question, j’y insiste, c’est in fine la réalité dans laquelle nous vivons.

Car la prise de position tacite de Véronique Campion-Vincent semble bien être que l’événement majeur de ce début de millénaire, à savoir les attentats du 11 septembre 2001, constitue une de ces réalités simples et évidentes que seuls des paranos peuvent envisager de contester. Dans son ouvrage, les hypothèses alternatives à la version officielle se trouvent seulement signalées comme existantes et rapidement associées à toutes les théories plus ou moins exotiques évoquées plus haut. Et cela, sans bénéficier du moindre espace de discussion. Elles se trouvent, en quelque sorte, enterrées vivantes ou « mises à l’asile », alors même que, d’entrée de jeu, notre auteur reconnaissait que les théories du complot sont avant tout le fait des hommes de pouvoir et non pas seulement celui des « allumés » de tous poils.

Bref, quoi qu’on en pense (pour ma part, le plus grand bien), l’hypothèse de Thierry Meyssan méritait bien une controverse, surtout qu’elle s’est trouvée étayée par d’innombrables prises de position de citoyens ou d’organisations étasuniennes. La possibilité que Bush ou plutôt le complexe militaro-industriel nord-américain ait quelque chose à voir avec le 11 septembre n’est, après tout, pas si invraisemblable que cela ; de fait, 50% des new-yorkais voient les choses ainsi — cf. le livre remarquable de minutie et de pondération de David Ray Griffin qui montre que les omissions et les manipulations présentes dans le rapport de la commission officielle d’enquête sur les attentats du 11 septembre constituent un des indices les plus sûrs de l’implication du pouvoir.

Pourquoi Véronique Campion-Vincent a-t-elle évité d’entrer dans ce débat alors qu’il se tient au cœur de sa problématique ? Il n’y a pas de raison de penser que l’importance et le caractère peut-être inextricable de la documentation s’y rapportant aient pu constituer un obstacle. Les chercheurs en sciences humaines ne sont généralement pas arrêtés par cela, au contraire. Mon hypothèse est simplement que notre sociologue ne s’est pas sentie le courage de mettre en balance ce qui nous tient peut-être le plus à cœur : la réalité dans laquelle nous pensons vivre. Le fait qu’elle puisse être le résultat d’une construction sociale reste toujours un objet de scandale, une pierre d’achoppement, même pour ceux que l’on pourrait croire les mieux préparés à affronter cette possibilité — je pense en particulier aux journalistes qui connaissent la grande cuisine des médias et semblent pourtant croire encore à la notion d'information et à leur propre objectivité, d'où le sincère étonnement de certains vis-à-vis du fait que Le Monde ait peu commenté le livre "La face cachée du Monde". Il fera chaud le jour où les journaux feront de l'information sur la manière dont ils construisent l'information. Car ils savent que ce n'est pas ce que demande le lecteur, qui veut "savoir", c'est-à-dire, pouvoir croire qu'il sait.

Nous n’imaginons pas à quel point il est crucial pour nous de maintenir le sentiment d’être en prise sur le réel, le sentiment d’avoir une perception plus ou moins correcte du monde. Notre sécurité mentale en dépend de manière vitale. Et/car ce que nous appelons la réalité n’est autre que ce sur quoi nous nous imaginons en accord avec tous les autres. Si la réalité est perdue, cela signifie que nous ne savons plus où se trouvent les autres auxquels nous pourrions nous raccrocher. Nous avons alors à penser seuls et cela, nous n’en avons pas l’habitude. D’où cette nausée quand le monde bascule et que nous perdons nos repères. D’où la difficulté à entendre ces affreux théoriciens du complot qui, par leurs arguments, viennent faire vaciller nos certitudes confortables. Nous pouvons très vite devenir mauvais à leur égard. Ce sont des paranos, des fous. Au secours !

Tel des bernard-l’hermite paresseux nous ne voulons pas quitter les vieilles coquilles de nos réalités simplettes mais si confortables. Ces réalités bâties par les puissants, leurs médias et la foule des suiveurs, nous y adhérons, les yeux fermés. Nous pouvons ainsi continuer de méconnaître les violences sur lesquelles elles se fondent. Nous pouvons continuer de croire en l’accusation pour ensuite acter volens nolens une violence tenue pour légitime.

« Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage » ! De Néron à Hitler, l'histoire est replète de complots grâce auxquels le pouvoir accuse un groupe d'un crime qu'il a lui même commis afin de s'en débarrasser en toute légitimité. Comment, en ces temps passablement apocalyptiques, ne pas voir l’actualité de ce proverbe aux résonances évangéliques ? Qui ne voit qu’en septembre 1999 le gouvernement russe a accusé les tchéchènes d’une série d’explosions dans Moscou et ses environs pour déclencher la deuxième guerre de Tchéchénie, ce qui vaudra au premier ministre, M. Vladimir Poutine de se faire élire triomphalement l’année suivante ? Quand on nous dit que le FSB (ancien KGB) est probablement impliqué dans ces attentats (cf. le site Terror99), nous ne sommes pas surpris outre mesure. Nous sommes habitués à penser que les russes sont capables de tout — tant qu’a duré la guerre froide, ils étaient l’ennemi. De même, qui ne voit qu’aux yeux du gouvernement des Etats-Unis les Irakiens avaient la rage ? Entre gens raisonnables, il n'est pas trop difficile d'arriver à un accord sur ces sujets délicats.

Mais mettez en oeuvre cette logique manipulatrice vis-à-vis des attentats du 11 septembre et vous verrez vos amis pousser les hauts cris. Nous ne sommes pas éduqués à penser que les étasuniens sont capables de tout. Ce sont nos amis après tout. Et nous sommes du bon côté de la barrière, n’est-ce pas ? Pensez autrement, c'est changer de réalité. Et beaucoup s'y refusent.

Dès lors, il vous restera à choisir : ou vous la fermez ou vous dites ce que vous pensez. Je vous déconseille vivement cette dernière option. Vous risqueriez de passer pour un parano ou un imbécile. Mais peut-être êtes vous prêt à changer de coquille et à en assumer les conséquences ?