Le blog d'EDUCAPSY

Libres chroniques de "la matrice" d'un point de vue psychologique. L'écriture s'en tient au premier jet. Pertinence, précision, concision & vitesse. Telle est la visée. Le ton polémique est délibéré car "le combat est père et roi de tout" (Héraclite).

Saturday, October 29, 2005

Le retour des refoulés, enfin.

Je n’avais pas l’intention de m’attarder sur ce petit séïsme qu’a constitué la publication du livre noir de la psychanalyse pour le microcosme des psys de tous poils. Ses ondes de chocs ont déjà parcouru trop de chemins dans trop de directions. Je pensais seulement indiquer le fait que j’ai parcouru avec délice les échanges qui ont suivi la publication d’un intéressant dossier du Nouvel Observateur n°2130 du 1e septembre 2005 intitulé « Faut-il en finir avec la psychanalyse ? ». Cette correspondance, tout aussi piquante qu’édifiante, se suffit à elle-même et n’appelle pas de commentaire particulier.

Toutefois, bien que conscient des risques, je ne résiste pas à cette cerise sur le gâteau qu’a constitué la réaction de Charles Melman à un bref article de Philippe Pignarre paru dans Le Monde du 16 septembre et intitulé : « Des questions que les psychanalystes ne peuvent plus éluder ». Dans sa défense et illustration de la psychanalyse publiée dans Le Monde du 1er octobre, Melman tente de traiter des trois points sensibles évoqués par Pignarre, à savoir :

1. Le fait que la plupart des psychanalystes ont considéré et considèrent encore, semble-t-il, que l’homosexualité est une pathologie

2. La charge de culpabilité et les souffrances suscitées chez les parents d’enfants autistes par des conceptions qui se sont révélées sans fondement.

3. Les efforts de nombreux psychanalystes pour, selon Pignarre, faire obstacle à la mise en place d’une véritable « réduction des risques » à destination des toxicomanes. Chacun le sait, ces derniers s’étaient trouvés mis en danger par une politique prohibitionniste aussi désastreuse qu’irresponsable en raison des risques de transmission du SIDA.

Concernant le premier point, l’homosexualité, Melman affirme sans ambage : « Si on admet qu'elle est organisée par une défense contre la différence et l'altérité … il est incontestable qu'elle … relève [de la pathologie]. »
C’est peu de dire que le propos manque de nuance car, la défense contre la différence et l’altérité étant ce qu’elle est, absolument générale, ne serait-ce qu’en raison de cette formidable pensée unique qui, pauvres moutons que nous sommes, nous pousse constamment à nous affirmer comme tellement « différents et pas pareils » que les autres, ont voit mal comment elle pourrait faire sortir de la norme aussi peut que ce soit.
Melman a probablement senti la fragilité de sa position, c’est pourquoi il tente de l’étayer par cette savoureuse fulgurance : « … l'hétérosexualité est elle-même un alibi, une défense, contre le non-sens de l'existence. »
Franchement, s’il n’y a, dans cette outrance d’une insondable gratuité, rien qui puisse ressembler à une défense de la psychanalyse, il est tentant de considérer qu’elle en constitue, par contre, une parfaite illustration.

Concernant les parents d’autistes et la triste situation dans laquelle la psychanalyse les a généralement placés, Melman n’en dira rien ou presque. Il se contentera de mettre en avant sa propre action. Sans opérer le moindre retour sur les conceptions psychanalytiques visées par la critique de Pignarre. La même stratégie tout à fait « personnelle » sera ensuite appliquée à la question des toxicomanies.

Melman se défend, très bien d’ailleurs, mais défend-il la psychanalyse ? Il est permis d’en douter.
Mais bon, me direz-vous, y avait-il là de quoi fouetter un chat ? Qu’ai-je, en définitive, à reprocher à Melman qui ait pu me pousser ainsi à prendre la plume ?

C’est, me semble-t-il, tout bêtement l’inconsistence de son propos. La disproportion inquiétante entre l’objectif annoncé (défense et illustration de la psychanalyse) et le résultat très en retrait (défense et illustration de Melman). C’est l’absence patente de communication véritable, autrement dit, de responsabilité, au sens étymologique. Des questions étaient posées qui se sont trouvées éludées alors qu’il y avait chez Melman prétention à y répondre.
Tout cela donne le sentiment que nous nous trouvons en présence d’un naufrage ou d’un effondrement. La pierre « homosexualité » fait achopper mais c’est le bâti tout entier, la notion même de pathologie, qui vacille, qui apparaît pour ce qu’elle est : absolument non maîtrisée depuis que le biologique a succédé au religieux dans la prétention à expliquer le fait mental.
Aux abois, ne sachant plus à quel saint se vouer, Melman fera finalement allégeance au biologique, affirmant, dans un bel acte de foi aussi gratuit que péremptoire, le caractère irréversible de la « maturation cérébrale dévoyée » qui engendre l’autisme. Pour éviter la poêle, il saute dans le feu. Comprenne qui pourra.

Je n’ai pas encore lu le livre noir de la psychanalyse, mais je me dis que les réactions suscitées chez les psychanalystes et assimilés étant ce qu’elles sont, incroyablement révélatrices, il doit quand même sacrément bien mettre le doigt là où ça fait mal. Sans doute en eût-il été autrement si ce débat avait été entamé plus tôt. Raison de plus pour se réjouir qu’il ait enfin lieu.