Le blog d'EDUCAPSY

Libres chroniques de "la matrice" d'un point de vue psychologique. L'écriture s'en tient au premier jet. Pertinence, précision, concision & vitesse. Telle est la visée. Le ton polémique est délibéré car "le combat est père et roi de tout" (Héraclite).

Friday, November 18, 2005

Psychose disproportionnée

Avez-vous entendu, il y a peu, le ministre Dominique Bussereau proclamer que la " "psychose" concernant la grippe aviaire était "complètement disproportionnée" " ? N'y a-t-il pas là une belle maladresse qui, comme toutes les maladresses, est lourde de sens ?
Parler de psychose, c'est déjà dire suffisamment la disproportion entre une prétendue réalité et la réaction qu'elle suscite. Evoquer une "psychose complètement disproportionnée" c'est faire dans le pléonasme d'une manière tellement disproportionnée qu'on ne peut pas ne pas se demander jusqu'à quel point il ne s'agirait pas d'une projection ?
De fait, quand, après le scandale de la vache folle, la consommation de boeuf baisse de 20 ou de 30%, quand, dans la crainte de la grippe aviaire, la consommation de volaille baisse de 20%, les politiques et les responsables de tous poils parlent de psychose, alors que, franchement, quoi de plus rationnel que de s'abstenir de consommer un produit susceptible d'entraîner des risques vitaux mal évalués ? A l'évidence, la psychose est du côté des politiques qui en parlent. Mais pourquoi cela ? Pourquoi en venir à ce concept ?
Accuser l'autre de folie est une vigoureuse prétention à détenir la vérité, une prétention à se tenir dans la réalité. C'est donc une prétention à guider la foule qui, sans cela, pourrait errer dangereusement. On conçoit que les politiques veuillent guider le bon peuple dans la bonne direction, mais pourquoi ce registre ? Pourquoi s'adresser non au bon peuple mais à son inquiétante transfiguration, la foule qui, comme chacun sait, est folle ?
Aucun élément de l'actualité ne permet de comprendre cela. Une psychogénéalogie du corps politique est ici nécessaire. Deux cents ans suffiront. Rappelons-nous en effet que la République a succédé à l'Ancien Régime. Elle en a donc "hérité". Les hommes qui se sont retrouvés en position de pouvoir, à la place du "roi", ont fatalement hérité de sa peur à l'égard des masses, toujours capables des pires extrêmités. Autrement dit, l'homme politique, qu'il en soit conscient ou non, est porteur d'une angoisse de perte de contrôle vis-à-vis du peuple. Une angoisse de castration pourrait-on dire, même si ce n'est pas le même "bout" qui est concerné.
La psychologie des foules est née de la révolution. Elle a engendrée la psychologie sociale dont les mouvements fascites ont très vite perçu l'intérêt. Même si la preuve en fut sinistre, c'est peu de dire que cette dernière a montré son efficace. Dès lors, qu'attendent les politiques actuels pour se mettre à la psychologie ? Cela leur éviterait de parler de psychose à l'égard d'un comportement tout à fait rationnel. Ils éviteraient de se projeter à tout bout de champ. Ils pourraient enfin apaiser leurs angoisses et peut-être nous éviter de plonger dans une de ces "folies à deux" entre un dirigeant et son peuple dont l'histoire, comme l'enfer est pavée. A moins que ce ne soit le contraire ?

Saturday, November 12, 2005

Le choix inassumé de l’autocensure

Je n’y peux rien : j’aime l’abstraction, les grands invariants. Un jour je parlerai de ce qui se cache derrière cela. Mais pour aujourd’hui, je voudrais simplement évoquer le plaisir que j’ai eu à entendre enfin un « métadiscours » à la radio. En effet, j’ai dernièrement découvert la chronique du médiateur de Radio France qui intervient le vendredi dans le 13-14 de France-Inter pour faire état du — et commenter le — courrier que lui adressent des auditeurs généralement insatisfaits de telles ou telles choses entendues sur les radios du groupe.

J’écoute cette émission avec la plus grande attention, non pour les remarques des auditeurs qui, au demeurant, ne sont pas inintéressantes, mais pour les réactions qu’elles suscitent chez M. Pepin car, à mes yeux, rien ne peut mieux traduire les représentations qui président à l’activité journalistique des médias dont il est, en définitive, le porte-parole fort diplomatique, mais porte-parole néanmoins. Ces réactions sont souvent beaucoup plus porteuses de sens que les informations « brutes » et supposément « objectives » des journaux. Elles nous donnent en effet le contexte de ce texte ininterrompu qu’est, en quelque sorte, le discours journalistique « non méta ». Nous pouvons alors « décoder » et proprement « situer » cet étrange sujet, le journaliste, lorsqu’il nous apporte cette chose encore bien mystérieuse qu’est l’information en semblant sincèrement croire qu’il dit la « vérité » ou traduit la « réalité ». Nous pouvons alors aussi comprendre quelle place nous est assignée en tant qu’auditeurs. En conséquence de quoi, nous pouvons enfin nous « poser » car du virtuel, de la représentation, du spectacle, nous passons au réel, touchant alors au concret des réalités humaines qui tiennent essentiellement à la place que l’un veut prendre vis-à-vis de l’autre (cf. par exemple le Traité de l’efficacité de François Jullien)

Voici la position qu’a adopté Patrick Pepin après qu’il ait procédé à la restitution rapide de quelques lettres d’auditeurs. Son propos, restitué verbatim jusqu’à son terme, a été le suivant :

… On ne peut pas demander tout à la fois à une équipe éditoriale d’explorer les pistes du politiquement incorrect et celle de s’interdire d’aborder certains sujets au prétexte qu’ils ne relèveraient pas des missions de service public ou plus simplement de la sensibilité de telle ou telle fraction du public.

Que les journalistes ou les producteurs de France-Inter soient attentifs au choix des mots, au choix du mode de traitement de l’actualité est une chose, qu’ils s’interdisent d’aborder la réalité telle qu’ils la perçoivent à un moment donné en est une autre.

Il n’y aurait, je crois, pour les citoyens de pire censure que l’autocensure que s’imposeraient les équipes éditoriales si, chaque fois qu’elles faisaient un choix, elles devaient le soupeser à l’aune du « faire plaisir » à telle ou telle partie des auditeurs.

Dans cette chronique, vous le savez, je rends publique la parole des citoyens, une parole qui doit rester libre, notamment dans la critique. Les journalistes, qui doivent entendre ces critiques, doivent, à leur tour, rester libres de leurs choix éditoriaux. Après tout, faire du journalisme, c’est, avant toute chose, faire des choix.

Dans la première phrase, le médiateur renvoie dos à dos les auditeurs qui souhaiteraient voir la ligne éditoriale tirée soit vers plus de liberté soit vers plus de convention. On peut comprendre que le journaliste est, de cette manière, positionné comme autonome, indépendant des pressions de son auditoire, puisqu’ayant mission de s’adresser à tous, il ne parle à – et ne dépend donc de — personne en particulier.

La deuxième phrase introduit la distinction classique entre la forme et le fond. Pour la première, Patrick Pepin reconnaît que le journaliste fait un effort d’adaptation à son public : les mots et la manière sont « choisis ». Mais pour le second, on comprend que le journaliste est inoxydable : la réalité qu’il perçoit — sentez-vous l’oxymore ?— il va vous la livrer toute chaude quoi qu’il arrive !

Avec la troisième phrase, la circularité du discours se fait jour. Le médiateur semble seulement redire explicitement ce qui l’avait été implicitement dans la première phrase. Mais ce retour n’est pas gagnant. C’est plutôt un retour de manivelle, c’est le choc du réel, la révélation de l’enjeu véritable du discours : la question des citoyens et de la censure. Pepin dit alors des choses terribles mais justes : il y a pire que la censure, c’est l’autocensure. Son propos devrait normalement nous rassurer puisqu’il identifie un mal, l’autocensure, dont on comprend que les « équipes éditoriales » se gardent. Toutefois, quoi de plus alarmant qu’un discours qui se veut rassurant mais porte à faux ? Se pourrait-il qu’il soit déjà contaminé par le mal qu’il dénonce (encore une circularité) ? De fait, Pepin nous parle de la possibilité d’une autocensure pour « faire plaisir » au public et de nulle autre. Comme si les « chiens de garde » du pouvoir n’étaient que des fictions, des extra-terrestres dont l’évocation serait ici non pertinente. Se serait-il ici autocensuré ? Ou bien n’est-ce qu’un de ces choix incessants évoqués dans la dernière phrase du propos ? Autocensure ou choix, telle est la question.

Nous sommes ici dans le saint des saints. Le lieu où le grand prêtre de l’information entouré de son équipe éditoriale se retrouve tel le sorcier Moussey qui accomplit le rituel en tranchant la courgette sacrée pour en jeter la moitié gauche, mauvaise, maléfique et garder la droite, bénéfique. Il y a dans ce geste un arbitraire total que nous savons maintenant repérer pour les courgettes mais qui nous échappe encore pour l’autocensure et le choix. Y a-t-il entre l’une et l’autre plus de différence qu’entre les deux moitiés d’une courgette ? Je demande à voir…

Mais trêve de métaphores. Lorsqu’un journaliste choisit d’évoquer telle « information », il choisit de taire telle autre. C’est son choix, sa liberté : total respect ! Sauf que si c’est toujours la même information qui est tue, alors il y a « autocensure ». Autrement dit, à part le politicien, il n’est probablement pas de professionnel qui soit davantage concerné par la question de l’autocensure que le journaliste. Attribuer ce danger aux demandes ou aux pressions du public, comme le fait Pepin, c’est tout de même faire un choix singulier qui ne traduit pas exactement la réalité. Qui ne sait que les pressions qui s’exercent sur les journalistes viennent avant tout du pouvoir en place ? L’autocensure-pour-faire-plaisir-au-public, théâtralement rejetée comme la mauvaise part, n’était-elle pas là pour masquer l’autocensure-pour-faire-plaisir-au-pouvoir qui, étant tue, peut être conservée ?

Le plus amusant ou le plus attristant, comme on voudra, dans cette prétention à l’autonomie et à l’objectivité des journalistes, c’est qu’elle culmine avec la question même de l’autocensure, car dans autocensure, il y a « auto ». Or, l’autocensure-pour-faire-plaisir à qui que ce soit n’est-elle pas « auto » par simple pétition de principe ? N’y a-t-il pas là un abus de langage ? Ne sommes-nous pas dans la plus plate des hétéronomies ? Le laquais qui se courbe devant son maître, lui, au moins, ne prétend pas à l’auto-détermination. Il a fait un choix, celui d’être « au service de », donc asservi.

Si le pire, c’est l’autocensure, alors le pire du pire, c’est l’autocensure de l’autocensure.

Décidément, j’ai peur que la désinformation ait de l’avenir.